7.
1927 1943 - Difficultés

 8.15.
Création
Chorégraphies

 8.16.1.
Répétitions
Guild Theatre
Broadway

 8.16.3.
Try-Out 2
Colonial Theatre
Boston

 8.17.
Ceéation
St. James Theatre
31 mars 1943

 9.
1943 1964 - Golden Age

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Plabill de «Away We Go»
Shubert Theatre (New Haven)
Try-Out mars 1943

Les Les Try-Out «out-of-town» (à l’extérieur de la ville) étaient déjà dans la norme à Broadway à l’époque, et aussi pour la Theatre Guild. C’était un moyen de peaufiner un spectacle ou même, parfois, de le réécrire complètement. En le confrontant à un premier public, il s’agissait aussi d’évaluer les potentialités de succès de ce spectacle. Un spectacle «raté» - ou qui ne rencontrait pas le public - pouvait être arrêté avant d’atteindre New York ou Broadway, ce que l’on appelle «closed on the road». Par contre, les spectacles qui rencontraient d’un succès en Try-Out, pouvaient bénéficier de cette agréable publicité quand ils ouvraient à Broadway.

Pour ses Try-Out, la Guild avait déjà utilisé le Shubert Theatre à New Haven et le Colonial Theatre à Boston, mais dans le cas d’Oklahoma! (), tout a été facilité par le fait que Lee Shubert (propriétaire du St. James Theatre sur Broadway, où Oklahoma! () ouvrirait) possédait également le Shubert Theatre à New Haven, et indirectement (grâce à sa relation professionnelle avec un autre investisseur d’Oklahoma! () Marcus Heiman) détenait un bail sur celui de Boston. Cela semble anodin, mais cela montre que Shubert et Heiman auraient pu avoir eu une certaine influence sur l’arrivée ou non d’Oklahoma! () à Broadway. Cette fois, la Guild devait impressionner plus que son public et les critiques.

A) Un Acte II en changements

Oklahoma! () a été créé en 1943, à une époque où les ordinateurs n’existaient pas. Faire des modifications sur une affiche ou un programme était tellement plus complexe qu’aujourd’hui. Comme l’impression de ces affiches ou ces programmes. Tous ces documents devaient à l’époque être imprimés à l’avance ce qui signifiait qu’ils ne reflétaient pas nécessairement l’état réel du spectacle à une représentation donnée; comme nous allons le voir, il y avait aussi une résistance au changement dans les programmes étant donné la tendance à dactylographier de nouveaux à partir de l’ancienne copie, avec le résultat que l’information devenait souvent confus. Par exemple, lorsque de nouveaux chanteurs ou danseurs remplacent les anciens, leurs noms apparaissent là où les anciens le faisaient, plutôt que par ordre alphabétique. Par contre, si on s’intéresse à l’histoire d’un spectacle, ces évolutions et modifications dans les programmes sont très parlantes.

Le spectacle qui a ouvert pour le premier Try-Out à New Haven le 11 mars 1943 — pour trois soirées et une matinée — est quasiment le même que celui de la fin des répétitions à New York. La raison en est simple: il a fallu beaucoup de temps pour que les artistes s’habituent aux costumes et à l’orchestre complet – on répète longtemps accompagné d’un seul piano – pour que tout éventuelle réécriture significative soit envisageable. Il y a eu quelques changements de dernière minute aux costumes avant l’ouverture de New Haven, principalement pour les simplifier (en particulier pour les danseurs), et Helburn et d’autres ont décrit plus tard la décision de Mamoulian d’inclure un «troupeau de pigeons dressés» pour animer Boys and Girls Like You and Me… du moins jusqu’à ce que ces pigeons refusent de suivre les ordres de leur dresseur!!!

Dans son autobiographie, Agnes de Mille rappelle aussi l’énorme état de tension qui régnait au sein des équipes. Il faut dire que les répétitions avaient commencé le 8 février et que le 11 mars, un mois plus tard, il fallait créer un musical qui se voulait sans concession. Les esprits étaient épuisés et les éclats de colère nombreux.

Pour ce qui est des chansons, le magnifique Lonely Room de Jud n’était pas mentionné dans les programmes de New Haven et de Boston. Lonely Room n’a pas été chantée à New Haven et semble avoir été rétablie à Boston.

Un certain nombre de modifications-compressions semblent avoir été faites le lendemain de l’ouverture de New Haven mais trop tard pour être mentionnées dans le programme de Boston, même si elles ont été réalisées à Boston néanmoins. Le lendemain de la première, Mamoulian a annoncé qu’il devait couper 90 minutes du spectacle – c’est quand-même une heure trente. Il s’agit certainement d’une exagération mais est révélateur d’un problème.

Peu de modification ont été apportée à l’Acte I: à l’exception du rajout de L’Acte 1 de la chanson de Jud, Lonely Room, et de quelques compressions mineures, le premier acte joué à New Haven est similaire à celui de Broadway. Par contre, pour l’Acte II, c’est beaucoup plus complexe, malgré toutes les modifications déjà apportées en répétitions. Langner a été clair dans sa description de la première à New Haven:

«Alors que la foule des managers, des investisseurs, des amis des acteurs, le compositeur et l’auteur discutaient sur scène après la fin de la pièce, un producteur de musicals bien connu qui parle rarement plus silencieusement qu’un cri retentissant, a déclaré aux personnes présentes qu’Oscar Hammerstein devrait réécrire complètement le deuxième acte. Un autre producteur important de musicals m’a appelé au téléphone le lendemain de la première et a passé vingt minutes à discuter avec moi du fait que le fermier pervers Jud ne devrait pas être tué dans le deuxième acte, parce que, dans son expérience de 25 ans de production de musicals, il n’y avait jamais eu de meurtre dans l’un d’eux! J’ai dit gentiment, mais fermement, que c’était essentiel à la pièce, et que nous ne le supprimerions pas. Les rapports de New Haven concernant le deuxième acte étaient tellement pessimistes que nous avons décidé de préparer un financement supplémentaire afin d’être prêts à rester hors de New York plus longtemps, si cela était nécessaire.»

Lawrence Langner


La mort de Jud ne sera jamais retirée d’Oklahoma! (). Mais il est clair que l’Acte II n’était pas encore finalisé: il aurait peut-être fallu le «réécrire», mais dans l’urgence les auteurs l’ont réorganisé, surtout dans cette deuxième scène difficile. Les programmes retranscrivent très clairement cette confusion. Dans un même programme le nombre de scènes de l’Acte II est différent dans le synopsis et dans la liste des chansons… Il en sera de même pour les deux programmes qui seront réalisés pour le Try-Out à Boston et le premier à Broadway…

Les conséquences, et les confusions qui en découlent, sont claires dans les programmes des spectacles de New Haven, de Boston et de New York. A New Haven, le programme mentionne quatre scènes distinctes dans l’Acte II, mais seulement trois dans sa liste séparée des numéros musicaux. Les deux programmes de Boston ont quatre scènes (dans un ordre différent), mais seulement trois, puis deux, pour la liste des chansons! Et le programme de New York comprend trois scènes et, encore une fois, seulement deux pour les chansons.

Un des changements récurrent a été la position de la chanson All er Nuthin d’Ado Annie et Will. Elle se trouvait après la scène 2 à New Haven, suivant la séquence Jud/Laurey/Curly, A Boston, la chanson se trouvait au début de la scène.

Un des questionnements, tout aussi récurrent, concernait la chanson qui marquerait la décision de Laurey et Curly de se marier. À New Haven et au moins pendant une partie de la série à Boston, cette chanson fut Boys and Girls Like You and Me, mais cela a fini par changer.

New Haven Boston New York
Time: Just after the turn of the century
Place: Indian Territory, Oklahoma
Time: Just after the turn of the century
Place: Indian Territory, Oklahoma
Time: Just after the turn of the century
Place: Indian Territory (now Oklahoma)
Acte I
Scene 1: Laurey’s Farm House
Scene 2: The Smoke House
Scene 3: A Grove on Laurey’s Farm
Acte I
Scene 1: Laurey’s Farm House
Scene 2: The Smoke House
Scene 3: A Grove on Laurey’s Farm
Acte I
Scene 1: The Front of Laurey’s Farm House
Scene 2: The Smoke House
Scene 3: A Grove on Laurey’s Farm
Acte II - scènes
Scene 1: The Skidmore Ranch
Scene 2: Stable Shed
Scene 3: A Meadow
Scene 4: Laurey’s Farm
Acte II - scènes
Scene 1: The Skidmore Ranch
Scene 2: A Meadow
Scene 3: Stable Shed
Scene 4: Laurey’s Farm
Acte II - scènes
Scene 1: The Skidmore Ranch
Scene 2: Skidmore’s Kitchen Porch
Scene 3: The Back of Laurey’s Farm House
Acte II - chansons
Scene 1
The Farmer and the Cowman
Scene 2
Boys and Girls Like You and Me
All’er Nothin’
Scene 3
Oklahoma
Finale: Oh, What a Beautiful Morning
Acte II - chansons (début Boston)
Scene 1
The Farmer and the Cowman
Scene 2
All’er Nothin’
Scene 3
Boys and Girls Like You and MeOklahoma

Acte II - chansons (fin Boston)
Scene 1
The Farmer and the Cowman
Scene 2
All er Nothin’
Boys and Girls Like You and Me
Oklahoma
Finale / Oh, What a Beautiful Mornin’
Acte II - chansons
Scene 1
The Farmer and the Cowman
All ’er Nothin’
Scene 2
Reprise: People Will Say
Oklahoma

B) Les danseurs «spécialisés»

D’autres problèmes concernaient les deux «danseurs spécialisés» masculins, George Church et Eric Victor, qui s’étaient joints à la distribution au début des répétitions, mais n’avaient pas encore trouvé leur véritable place. Comme Langner l’a expliqué, il était d’usage à l’époque que tous les musicals comportent des numéros de danse dits «spécialisés», et le script original prévoyait qu’un ou plusieurs danseurs apparaissent dans ce qu’on appelait des «spots», interrompant l’action avec une danse. Mais à mesure de l’avancée du travail, le style du musical évoluant, il est devenu évident qu’il n’y avait plus de place dans Oklahoma! () pour de tels «spots» dans l’action ou la chorégraphie. Cette suppression des «spots» de danse a aussi participé à faire d’Oklahoma! () le premier musical de tous les temps en faisant participer le théâtre, le chant et la danse de manière complète à l’avancée de l’intrigue, sans recours à aucun intermède gratuit.

George Church s’est vu supprimer son numéro de claquettes parce qu’il ressemblait trop à celui de The Farmer and the Cowman. Il a demandé la permission lors des Try-Out de Boston de quitter le spectacle. Mais il a été persuadé de rester au moins jusqu’à l’ouverture de New York, étant donné qu’il avait le rôle de Jud-Dream, c’est-à-dire le danseur qui joue Jud dans le Dream Ballet. Plus tard, il a été autorisé à se retirer et a été remplacé comme Jud-Dream par Vladimir Kostenko le 1er juin 1943. Un communiqué de presse a annoncé ce départ: «George Church, l’un des danseurs vedettes d’Oklahoma! () a quitté la distribution du succès musical pour se porter volontaire à l’étranger en tant qu’artiste pour les United Service Organizations».

Le cas d’Eric Victor était plus difficile. Langner se souvenait de lui comme: «une personne bizarre… longue, maigre et barbue, qui s’entraînait à bondir comme une chèvre à partir de la scène à des moments inattendus, et à effrayer toute personne qu’il prenait au dépourvu». Au cours des répétitions, une routine a été élaborée dans The Farmer and the Cowman dans laquelle, selon Paul Shiers (membre de l’ensemble):

«Il y avait un petit solo pour Eric Victor où il interagissait avec une danseuse, Bambi Linn. Il faisait des claquettes, de manière non conventionnelle, et Bambi était surprise par le son qu’il faisait. Ce son qui la fascinait et elle le suivait partout, comme s’il était un charmeur de serpents. Un numéro tout à fait charmant. C’était un clou du spectacle, un «show-stopper» [numéro qui arrache des applaudissements au public en plein spectacle]. Mais une fois que nous avons ouvert à New Haven, ils ont réalisé que ce numéro ne faisait pas avancer l’intrigue. Même si le public l’appréciait, il a été supprimé.»

Paul Shiers


Langner a noté que même si Eric Victor s’était fracturé le poignet à New Haven, en remplacement du numéro supprimé, dès Boston, on lui a dégoté une brève intervention à la fin de It’s a Scandal! It’s a Outrage! durant laquelle il sautait d’un tonneau en costume de cowboy, exécutant des singeries anti-gravitationnelles. Mais son apparence était si étonnamment effrayante, qu’il a fallu dix minutes avant que le public ne se remette à rire, et de plus, cela a tellement nui au style de la production, que la Theatre Guild a mis terme à son contrat.

Dans les faits, Victor a menacé d’intenter des poursuites, et la Guild a dû accepter de lui verser dix semaines de salaire (1.250$) s’il n’obtenait pas un autre poste ailleurs. Il n’est pas mentionné dans le programme de Broadway, où seul Marc Platt est crédité dans The Farmer and the Cowman.

C) Verdict des Try-Out à New Haven

C.1) La troupe

À la fin des 4 représentations de New Haven, presque tous les acteurs de la production semblaient encore avoir de vrais doutes quant au succès du spectacle: Celeste Holm (Ado Annie) a refusé de signer un contrat à durée indéterminée, n’acceptant de le faire que le 29 mars, après les Try-Out de Boston. Il y avait aussi des rumeurs prétendant que le metteur en scène Rouben Mamoulian allait être remplacé par George Abbott.

C.2) Le public

Les réactions du public furent très diverses. Philip Barry Jr. a été «absolument fasciné» par le spectacle et a tenté de persuader son père, Philip Sr., d’investir une partie de ses royalties de la Guild (pour The Philadelphia Story et d’autres pièces) dans ce nouveau spectacle; mais le père a décidé de ne pas le faire, surtout, semble-t-il, parce qu’il n’aimait pas la pièce originale de Riggs. Agnes de Mille a rapporté la réaction de Kurt Weill au Try-Out de New Haven: «Il ne pense pas que ce soit réussi mais ça pourrait le devenir.» Un an plus tard, Weill sera juste un petit moins réticent. Rodgers, quant à lui, a affirmé que l’accueil du spectacle à New Haven a été «phénoménal».

C.3) La presse New Yorkaise

Les opinions de certains critiques de New York qui avaient fait le voyage pour ce premier Try-Out étaient notoirement partagées, et, comme nous l’avons vu, le télégramme envoyé au redouté chroniqueur Walter Winchell — «Aucune jambe, aucune blague, aucune chance» — est rapidement entré dans la mythologie.

C.4) La presse locale

Par contre, les revues de presse locales étaient entièrement favorables.

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Le New Haven Journal-Courier du vendredi 12 mars a fait remarquer que cette «pièce musicale luxuriante et flamboyante [...] sur l’amour et la vie au début de l’Ouest» a eu une «bonne première»; «beaucoup d’acteurs sont connus mais beaucoup d’autres ne sont pas connus et le seront bientôt», et «l’excitation du présent peut être mise de côté pendant trois heures pendant que l’on profite de l’excitation du passé dans ce spectacle animé et pétillant.» L’examen prévoyait que certains points faibles seraient éliminés d’ici la prochaine représentation.

Selon le New Haven Evening Register, ce «musical endiablé » était «bourré de mélodies harmonieuses» et était «un divertissement idéal pour s’évader»: «c’est un excellent stimulant théâtral pour saluer l’approche du printemps».

Pour ce qui est du Waterbury American, «ce spectacle souffle sur l’Oklahoma avec toute la rigueur et les qualités rafraîchissantes d’un vent fort», «toute cette création est proche de la terre» et «The Farmer and the Cowman» est «l’une des meilleures chansons du spectacle».

Un peu plus tard, Cecil Smith, dans le Chicago Daily Tribune, le 16 mars, a fait remarquer que le spectacle «ne connaîtra pas un succès sans de grandes modifications, malgré ses décors attrayants et sa musique fredonnante». Smith a estimé que le spectacle était trop instable en termes de style et de ton, en particulier dans l’Acte I. Il ne parle pas de l’Acte II car il devait être fortement révisé. Il affirmait aussi que le Dream Ballet (A Lady in the Dark) manquait de «solidité structurelle» comme dans Rodeo, le ballet qu’Agnes de Mille avait chorégraphié avant Oklahoma! ().

Le 17 mars, cependant, Variety a noté que le spectacle avait récolté 10.000$ à New Haven, et Harold Bone a félicité la Guild d’avoir «offert un paquet-cadeau de nostalgie, soigneusement enveloppé dans un casting talentueux et attaché avec une partition ruban bleu». Le spectacle «devrait s’installer pour un long séjour à Broadway» et «les possibilités de film sont importantes».

Annexe) Le Shubert Theatre de New Haven

Le Shubert Theatre de New Haven, depuis sa toute première saison en 1914, a été un centre essentiel des arts de la scène présentant des pièces de théâtre, des musicals, de l'opéra, de la danse, des récitals et des concerts de musique classique, du vaudeville, des artistes de jazz, des big bands, du burlesque et des concerts de variété. Il a accueilli plus de 600 pre-Broadway Try-Outs, dont plus de 300 premières mondiales et 50 premières américaines. Le reprotage ci-dessous retrancrit magifiquement l'histoire de ce théâtre historique.

Le Shubert Theatre de New Haven: une légende depuis 1914
© Shubert Theatre, New Haven - Produced & Narrated by Ian Galligan